Le debrief : Avant première du film Merci Patron à Paris

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Le 8 février 2016

Arrivé dès 18h à la salle Olympe de Gouges, dans un quartier populaire du XIème à Paris. Pour la petite histoire, elle a été construite à la place de la prison pour femmes de la Roquette. Fakir avait réservé 150 places pour les « copains », avec surtout la gratuité pour tous (élément assez exceptionnel à l’entrée), comme le punch picard, en participation libre. Les gens attendent dans les marches. Je file sécher mon blouson, ayant pris l’averse. Le staff s’affère en bas, avec les tables de presse, les affiches, et la boisson offerte.

Très rapidement les 600 à 800 sièges furent occupés, avec même du monde dehors, des retardataires malheureux. Un merchandising de taré était en place aux quatre coins. Entendu : « C’est un guide de propagande » formule lâchée par un gars du staff, distribuant affiches et flyers, ironique à souhait. Bonne ambiance donc. Une dame derrière me remettait en condition : « Ce qui se promène dans la bulle est 100 fois supérieur à l’économie réelle« . La lassitude achève de renforcer mon blues conjoncturel. La consigne fut rappelée une dernière fois, de la scène : « On est d’accord, ceux qui sont devant la ligne rouge ont leurs invitations. Et celles et ceux derrière sont sans invitation. »

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Je remarque alors des leaders et élus du Front de gauche, dont Mélenchon s’installant devant, comme Mickaël Wamen des Goodyear. Ils sont tous là, On se croirait à la Fête de l’Huma’. Nicolas Lambert de son côté – à qui j’avais présenté Lionel Girard as Adonis au café de l’Industrie en avril 2012 – fait des aller retour dans le public, très smart en costume, le regard perçant, à l’identique des personnages de ses différentes pièces de théâtre politisées. Il est accompagné de Sylvie Gravagna pour jouer des représentants du Medef régional. François Ruffin apparaît, casquette visée sur la tête, un look sans prétention, quasi comique, à la Michael Moore. Lui manque mes cheveux actuels pour le parfait déguisement beauf. Y’a les Mutins forcément dans le tirage. Quand on sait les cloisonnements et oppositions ci ou là (pas tout, mais quelques-uns). Ils ont assuré leur ciblage, on est quasi en famille, et leur site web reste à l’écran. Un joli placement pour cette crèmerie de l’engagement. Comme un clin d’oeil au service rendu avec la captation durant le tournage.

La fanfare invisible entonne quelques airs de révolte, comme Bellaciao. Le frisson monte, alors que le prolétariat se fait dégommer de plus belle actuellement. L’énergie du désespoir, ou de ceux qui ont encore et vont tout perdre. Le dernier souffle. Francois Ruffin n’oublie pas de remercier Johanna, la coordinatrice de l’événement, et Frédéric Lemaire d’Attac pour la réservation de la salle. Nicolas Lambert démarre sa présentation avec sa collègue des planches : « Fuck her et François Ruffin remettent à sa juste place la marque France en tête de gondole« . L’humour est là, comme les réflexes d’impro’. Et c’est au tour de Mickaël Wamen de prendre la parole, desormais dans le feu de l’actualité, avec les condamnations en appel de 8 Goodyear à de la prison ferme. Alors qu’en syndicaliste, il a surtout assuré la sécurité de représentants de la direction face à un lynchage possible, lors d’une confrontation menant encore à l’impasse, et des vagues de fermetures de sites industriels. Le ton est direct et rapide. Il soulève littéralement l’assemblée : « Rebsamen a validé notre licenciement en avril de l’année dernière« . Le ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation et du Dialogue social des gouvernements Valls I et II se fait huer. Wamen poursuit : « Chez nous, depuis la fermeture d’usine, il y a eu 12 morts, 12 suicides directs ou indirects« . L’assistance écoute en silence. Il est un très bon porte voix du drame humain à l’oeuvre sous la présidence de François Hollande. Son exaspération se fait sentir : « On a déposé des plaintes, parce que l’on a été exposé à des produits chimiques, dangereux, cancérogènes : classées sans suite ! » Il appelle enfin à la mobilisation avec toutes les corporations professionnelles en danger. Mais le temps est compté, et nous ne sommes pas en meeting.

La projection commence. Voici le synopsis : « Pour Jocelyne et Serge Klur, rien ne va plus : leur usine fabriquait des costumes Kenzo (Groupe LVMH), à Poix-du-Nord, près de Valenciennes, mais elle a été délocalisée en Pologne. Voilà le couple au chômage, criblé de dettes, risquant désormais de perdre sa maison. C’est alors que François Ruffin, fondateur du journal Fakir, frappe à leur porte. Il est confiant : il va les sauver. Entouré d’un inspecteur des impôts belge, d’une bonne soeur rouge, de la déléguée CGT, et d’ex-vendeurs à la Samaritaine, il ira porter le cas Klur à l’assemblée générale de LVMH, bien décidé à toucher le coeur de son PDG, Bernard Arnault. Mais ces David frondeurs pourront-ils l’emporter contre un Goliath milliardaire ? Du suspense, de l’émotion, et de la franche rigolade. Nos pieds nickelés picards réussiront-ils à duper le premier groupe de luxe au monde, et l’homme le plus riche de France ? »

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Le scénario se déroule, plus loufoque et invraisemblable que jamais. On y croit pas : LVMH qui file sous main du fric pour faire taire les critiques, why not. Mais voir Bernard Arnault pris la main dans le sac, avec cet enchaînement là, c’est assez surnaturel. La séance est un succès. Je garde un léger malaise cela dit par rapport à la vision un peu à la Strip-tease de cette famille assez simple, entraînée dans une mécanique qu’elle ne contrôle pas. La condescendance affleure, inconsciente, comme avec les Deschiens. Un phénomène quasi caricatural vis à vis du milieu prolétaire, et récurrent en bourgeoisie. Ruffin remercie Marie-Hélène Bourlard, essentielle pour le film, notamment avec les Klur (en ancienne déléguée syndicaliste d’ECCE, devenue ambulancière), et lui donne la parole. Elle est moins loquace que devant un patron. Il le signifie gentiment au public, à la suite. Puis arrive un clash, plutôt évident, en cette fin de projo’, avec les prises de paroles contrôlées, en mode humour, par François, réel chef d’orchestre de l’événement : les questions sont enregistrées, et des personnes dans la salle doivent jouer tantôt l’homme, tantôt la femme qui exprime sa demande ou remarque. La bande son est bien réglée. Ruffin récite son speech : « … Je déroulais ma frise chronologique« . Un type amer le coupe soudain, arrivant sur l’estrade, un micro à la main : « Oui camarade Ruffin, tu parles de colère. On est quelques-uns là, on s’est rencontrés en sortant du film. On était très en colère d’avoir vu ton film. On a trouvé cela hyper insultant pour ces gens là. On va passer pour des gauchistes, tout ce que tu veux hein. Là tout le monde est très content. On applaudit. Y’a zéro perspective dans ce film. Attend, c’est quoi cette organisation ? On se croirait à LVMH. Y’a le cordon des invités, le gratin qui est devant. Les enfants du paradis dans le noir là haut, dans la chaleur. Euh, c’est quoi la finalité de ce film, à part faire de la pub pour Fakir ! » Les bras ont bougé. Je le savais de l’intérieur, comme l’émotion qui va avec. Ainsi Ruffin essaie de récupérer le micro, une fois, puis deux, et fini par pousser l’opportun hors de scène, après qu’une personne ait demandé s’il y a un service d’ordre. Le boss de Fakir est ému pour se défendre, comme un animal blessé, et maintient le cap.

Frédéric Lordon est invité à s’exprimer alors, comme caution intellectuelle. Il indique n’avoir pas grand chose à dire, si ce n’est qu’il voulait savoir ce que le documentaire donnait devant une large audience. L’avoir vu clasher Mélenchon juste en face m’a bien fait plaisir : l’insurrection ou émancipation politique « … cela ne se passera pas au travers de je ne sais quel pantomime de primaires de toute la gauche qui va de Mélenchon à Macron« . Cela dit, ni Lordon ni le principal leader du Front de gauche ne me conviennent réellement. Le premier use de terminologies empruntées au communisme, en rapport classique avec le travail, la production, et ne semble ainsi pas très captivé encore par le Revenu d’Existence Universel sans conditions, qui certes n’achève pas la part des violences dans la nature des désirs humains. Je le sais pourtant critique de la propriété, vue comme une tyrannie à bien des endroits, un constat que je partage pour dépasser le capitalisme. Le deuxième est autoritaire avec des sans grades dans les médias, révérant à l’inverse pour des têtes de programmes à la L.Ferrari. De plus, il vient du PS, est pro’ régimes douteux, à la Chavez, Poutine and co’. Ce qui lui donne une longueur d’avance quant à mon rejet et critiques (déjà exprimés en frontal, lors de son plus grand meeting à Bastille en mars 2012, comme auprès des médias locaux et internationaux présents).

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Ruffin exhorte l’assistance à payer en partant, sur le ton de la satire, tout en restant pragmatique. Il remercie les abonnés de sa feuille de chou. Je me rapproche alors, après la pièce, déposée comme à l’Eglise. Salué ci ou là, et pour l’occasion Lordon, Ruffin, Wamen, etc. Croisé aussi Maël Goepfert du Front de Gauche, comme ce fut le cas en d’autres rendez-vous marquants. Leïla Chaibi n’est pas loin. J’ai repensé tout de suite à un meeting du DAL au théâtre du Rond Point en janvier 2012. Cette fois j’étais au premier rang, à côté de Mélenchon, la poisse. Et le regretté Albert Jacquart me reste particulièrement en mémoire, alors en tribune pour une prise de parole toujours essentielle. Jean-Baptiste Eyraud a fortiori également en tête, que j’ai pu saluer dernièrement à République, même tard, seuls avec les réfugiés face aux forces de police, pour sa gouaille, son franc parlé et sa générosité (je n’oublie pas le prêt du projecteur du DAL pour une illumination du CIIP sur le siège du Modem, par rapport à la connivence explicite de Bayrou envers Bongo) ; ou lors d’une réunion à la Bourse du Travail, avec plusieurs collectifs, pour l’organisation d’une manifestation d’actualité (contre le maintien de l’Etat d’Urgence, la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité, et la pénalisation du mouvement social), en présence de Farbiaz notamment, un autre soutien et partenaire d’agit pop’ (notamment de l’exposition de la Campagne d’artistes du CIIP pour le Rwanda au 100ECS début 2015, à l’agenda de la Semaine anticoloniale de Sortir du Colonialisme).

Revenons au présent. Je m’éclipse. Il est près de 22h déjà. Une connaissance du milieu artistique, comme de la tribu disparate des crevards de Panam est heureuse de me saluer. Ce n’est pas si cloisonné la politique, parfois. Elle m’avoue sa claustrophobie, et je comprends enfin l’effet bizarre depuis toujours de ses gestes et attitudes par moment. Les Désobéissants sont là, à la sortie, des ouvrages et t-shirt en vente, à proximité de petites mains d’Attac. Je glisse à Xavier Renou un mot complice à propos de Romain. Le temps passe, et les prod’ se suivent. Allez voir Merci Patron. Ou proposez le autour de vous.

Matjules


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